Ce qui suit est ma traduction libre d’un article du Reader Digest de 2009, avec quelques rajouts provenant d’autres articles.
The European Club, ou le rêve de Pat Ruddy
Pat Ruddy commença à jouer au golf avec son père à l’âge de dix ans. Rapidement, il su que sa vie serait nourrie de ce sport. Plus tard, au terme de sa scolarité, alors que le golf était encore considéré par beaucoup comme étant juste un hobby pour la classe supérieure, et que la plupart de ses camarades de classe se destinaient à une vie laborieuse dans les champs ou sur les docks de Belfast, il se mit à écrire sur le golf.
C’est ainsi que dans les années 60, il travaillait en freelance pour la BBC ainsi qu’une bonne dizaine de magazines et journaux, d’Afrique du Sud à l’Angleterre, en tenant également la rubrique golf hebdomadaire du Evening Herald à Dublin. Il était prêt à tout pour vivre de sa passion, quitte par exemple à dormir sur un banc public pendant une édition du British Open, plutôt que de payer une chambre d’hôtel au prix exorbitant. En 1972, il lança le mensuel « Golfer’s Companion, qu’il édita pendant trente ans depuis sa cave. Jamais à court d’idée, il organisa un évènement sur la piste d’une base militaire, où le professionnel irlandais Liam Higgins établi un nouveau record du monde de drive à 621m. (Note de AuldCom : un vrai membre GT en puissance !).
Pat Ruddy a toujours aimé son travail, et ne l’a d’ailleurs jamais vraiment considéré comme un travail. Mais il avait toujours en tête un objectif plus important, le rêve d’une vie en somme. Par-dessus tout, Pat voulait créer son propre sanctuaire de golf, un endroit modeste pour sa famille, ses amis et éventuellement quelques visiteurs payants. Un endroit qui lui correspondrait de A à Z, sans investisseur extérieur, sans chaîne d’hôtel ni président de club qui serait toujours dans son dos.
Il avait déjà dessiné quelques modestes parcours en Irlande, mais il aspirait à plus. En 1980, il commença à louer un hélicoptère pour arpenter la côte, en quête d’une parcelle adaptée à un vrai parcours de type links. Ce nom vient de cette bande de terre sablonneuse, impropre à l’agriculture, qui fait le lien (to link) entre le bord de mer et les terres arables, sur laquelle certains des parcours les plus prestigieux du monde ont été construits, comme le Old Course à St Andrews, Ballybunion, Royal Birkdale ou Royal Portrush. Définir un vrai links est toujours sujet à débat, mais on considère volontiers qu’il n’y a que 170 vrais links dans le monde, dont une cinquantaine en Irlande.
En survolant la mer, Ruddy réalisa à quel point les côtes irlandaises sont dominées par les marais et les falaises, rendant à l’état de denrée rare les terrains susceptibles d’accueillir un links. Finalement, lors de son troisième vol, il repéra une parcelle prometteuse de 120 hectares comprenant un front de mer d’environ un kilomètre et demi le long de Brittas Bay, à 55 kilomètres au sud de Dublin. Elle était recouvertes d’herbes hautes où paissaient des moutons et se composait de grandes dunes culminant jusqu’à 70 mètres au dessus de la mer, entre lesquelles il imagina naturellement l’enchainement des fairways pour jouer au mieux avec les vents dominants. Pour couronner le tout, ce n’était pas loin de son nouveau domicile proche du port de la capitale.
Il savait que le prix du terrain risquait d’augmenter rapidement s’il se montrait trop pressé de l’acquérir, il attendit donc patiemment pendant quatre ans jusqu’à ce que le fermier le mette en vente lors d’enchères. Entretemps, il avait vendu sa voiture, ré-hypothéquer sa maison et encaissé le capital d’une assurance pour avoir les fonds nécessaire à l’investissement. Il avait aussi souscrit un emprunt.
Quand le jour-J arriva, l’imperturbable Pat Ruddy était dans le pétrin. En effet, à moins d’un quart d’heure du début des enchères, il n’avait pas encore obtenu la moindre réponse de la part de la banque. « Ecoutez, j'ai besoin d'une réponse maintenant ! » lança-t-il au téléphone à son banquier. Ce dernier hésitait, et n’était pas pressé de lui avancer les fonds nécessaires. La seule réponse qu'il obtenu fut : « Nous vous appellerons demain. »
Ruddy, tout sauf du genre joueur, devait faire face à un choix cornélien, car deux autres investisseurs étaient sur le coup pour construire un parcours de golf sur la parcelle convoitée. Les mises furent rapides, et c'est au moment d'atteindre le montant limite de Pat que le dernier de ses adversaires se retira. La parcelle sauvage de 120 hectares était à lui pour un montant approchant les 600,000 euros.
Le lendemain, la banque appela, le prêt lui était octroyé. L'artiste avait désormais sa toile.
Les racines rurales de Ruddy lui avaient donné l'amour de la terre, ainsi que bonnes connaissances concernant la géologie, la nature et la météorologie. Il n'était pas du tout intimidé par la perspective de devoir patiemment sculpter un parcours de golf dans des conditions climatiques souvent dantesques, il savait que c'était sa sainte mission.
Pendant six longues années, Pat et son fils ainé Gerry, à peine sorti de l'adolescence, travaillèrent sans relâche à redessiner la courbe des dunes sauvages, avec guère plus qu'une petite excavatrice et un camion-benne de 20 tonnes. Bien que la femme de Ruddy, Bernardine, ainsi que leurs autres enfants Bernardine Jr, Sidon, Patrick et Zilla apportèrent leur pierre à l'édifice, aussi modeste fut-elle, Pat et Gerry estiment qu'ils sont effectué 90% du travail eux-mêmes, économisant de la sorte l'équivalent du prix de terrain en coûts de main d'œuvre et de logistique.
Pat construisit et reconstruisit chaque green, chaque bunker jusqu'à ce que chacun d’entre eux lui donne entière satisfaction. La disposition des dunes proposaient tellement d'endroits merveilleux pour accueillir des greens qu'il s’octroya la fantaisie d’en construire vingt, juste pour le plaisir, ce qui permit de proposer deux par3 supplémentaires (le 7a et le 12a), que l'on peut jouer ou non sans détour particulier. Quand on lui posa la question au sujet de ce nombre, il répondit : « Pourquoi pas ? J’aime le golf. S’il y a de la place pour 20 ou 25 bons trous, pourquoi s’arrêter à 18 ? Ne sommes-nous pas là pour jouer au golf ? »
Les obstacles furent nombreux, parfois sérieux, parfois moins. Lorsqu'un tracteur disparut, Pat et Gerry parcoururent toute la région en voiture pendant trois jours pour finalement le retrouver dans une exploitation agricole voisine, où le fermier se défendit en prétendant qu'il ne l'avait emprunté que pour quelques jours... A cela, notons cet autre voisin qui construisit une bruyante piste pour avion, des tonnes de semences soufflée par le vent dans l'océan, trois fractures du pied pour Ruddy ou une pétition d'écologistes locaux demandant à l'Union Européenne de faire cesser le projet. Mais il en fallait plus pour empêcher le rêve d'une vie de se concrétiser.
Chaque détail de son terrain de jeu personnel avait vu et revu d’innombrables fois, tant et si bien que lorsque les travaux s’achevèrent, le parcours trouva tout naturellement sa place dans son environnement, telle la pièce manquante d'un puzzle.
Pat Ruddy avait décidé d’appeler son œuvre « The European Club ». Vu de l’extérieur, cela aurait pu être pris comme une blague, l’humble club n’ayant même pas (encore) de club house à proposer. En contrepartie, il offrait du golf d’exception. En ce 26 décembre 1992, quelques voitures attendaient patiemment devant l’entrée avec à leur bord une poignée de golfeurs, un billet de 10 livres en main, heureux d’avoir le privilège de jouer ce nouveau parcours.
Ils découvrirent un tracé extrêmement fluide, parfaitement inséré dans le paysage, offrant des vues sur la Mer d’Irlande sur non moins de seize trous, serpentant à travers les dunes, les zones marécageuses, les herbes hautes et la plage de Brittas Bay. The European Club offre un enchainement de trous un peu particulier, avec seulement deux par-5 et trois par-3, voir cinq en incluant les trous « bis ». Inhabituelle dans le monde du golf, cette situation est néanmoins assez courante sur les links, et s’explique dans ce cas précis par la difficulté de trouver des espaces nécessaire pour des par-5 sans avoir à passer par-dessus les hautes dunes de la parcelle. Une autre particularité concerne le green du trou n°12, un par-4. Avec ses 116 mètres de profondeur, il est sans nul doute le green le plus long au monde. Mais il est rare que le drapeau se trouve au-delà de la moitié de la surface.
Depuis l’ouverture du parcours, un modeste clubhouse a vu le jour. Rien de luxueux néanmoins, ni saunas ou grands écrans, juste des conversations stimulantes dans la salle manger en dégustant une savoureuse tarte aux pommes, la meilleure de la région nous assure-t-on. Son rêve de gosse atteint, Ruddy se permit le luxe d’en profiter chaque jour en aménageant un appartement au dessus du proshop, où il possède l’une des plus importantes collections au monde de livres anciens sur le golf. Fait étonnant, il est l’un des rarissimes architectes à vivre dans son club. Car si Pete Dye (Crooked Stick) ou Jack Nicklaus (Muirfield Village) par exemple vivent bien sur des parcours qu’ils ont dessinés, ils ne sont que copropriétaires de ces clubs très privés.
Rapidement, tout ce que le monde de la petite balle blanche compte comme grands joueurs et écrivains de renom se déplacèrent pour découvrir de leurs yeux The European Club.
« Somptueux », déclara Sir Nick Faldo lors de sa première visite.
« J’adorerais y voir le British Open s’y dérouler », annonça Johnny Miller, ancien vainqueur de l’US Open et désormais journaliste reconnu.
En 1999, un panel d’expert regroupant douze magazines internationaux y sélectionnèrent trois trous pour faire partie des 500 meilleurs trous du monde, un exploit pour n’importe quel parcours, et encore plus incroyable pour un tracé âgé de tout juste 7 ans ! Il ne fallu pas attendre bien longtemps pour que les magazines de golf en Europe comme aux Etats-Unis déclarent le club comme faisant partie des cent meilleurs parcours du monde. De nos jours, une partie coûte €180.
Peu de temps avant le British Open 2002, Tiger Woods vint y jouer et établir le record du parcours en 67, une marque qui tient toujours. Pour le plus grand plaisir de Pat Ruddy, Tiger demanda plusieurs fois au départ de certains par-4 s’il s’agissait de par-5. Un magnifique hommage du travail visuel savamment opéré par Ruddy.
La carte de score laisse également transparaître un peu de la personnalité de Pat Ruddy. Juste en dessous d’un petit conseil personnel - Soyez vif, jouez sans délai, vous êtes des athlètes ! – est imprimée une grande case : « Le score que j’aurais dû jouer. »
Fort de la renommée grandissante de son travail, il a depuis reçu des dizaines d’offres d’achat plus ou moins sérieuses, dont la plus élevée aux alentours de €40 millions. « Seul le plus grand des fous ne songerait pas à vendre et ainsi assurer l’avenir de sa famille, » déclara récemment Ruddy. « Mais ma malédiction est que j’adore le golf. »
Il a depuis dessiné trente-sept autre parcours à travers le pays, dont le magnifique Sandy Hill Links à Rosapenna et les deux tracés immaculés du proche Druid’s Glen Resort, souvent surnommé l’Augusta d’Irlande. Mais The European Club reste au centre de son attention, et il n’a de cesse d’apporter de subtiles modifications au gré de son inspiration et de ses observations. Parfois, il n’hésite pas à trancher dans le vif, comme il le fit sur le trou n°18. Longtemps considéré comme hors-sujet avec une mare gardant son green, le trou fut repensé. Avec désormais un ruisseau serpentant en lieu et place de la pièce d’eau, il est devenu un des trous les plus mémorables du parcours.
Du haut de ses 66 ans, habillé de son habituel gilet et cravate, Pat Ruddy ressemble plus à un vieux professeur qu’à un magnat du golf. Si son club est certes privé, mais sans prétention et même modeste avec seulement 110 membres, il affiche néanmoins « une disposition amicale envers les visiteurs » qui s’y font traiter comme s’ils faisaient partie de la famille. Une famille justement qui l’adore, ses enfants travaillant tous avec joie au sein du club. Tout le monde aime Pat Ruddy.
Chaque année, à l’occasion de son anniversaire (le 21 juin), il ferme son club et invite sa famille et ses amis à profiter de son œuvre en toute sérénité. Sans doute ne peuvent-ils comprendre ce parcours comme lui le voit – comment le pourraient-ils ? – mais ils comprennent très bien ce qu’il représente, une sorte de monument à sa persévérance et son amour du golf.
Aujourd’hui, The European Club est unanimement reconnu comme étant un très grand parcours de golf. Je me réjouis donc de le jouer en mai prochain et avoir la chance, peut être, de rencontrer Pat Ruddy dans son fief.
Sources :
Reader Digest : http://www.rdasia.com/pat_ruddy_s_dream ... arryolmste ... lf-course/http://www.cybergolf.com/golf_news/pat_ ... ks_worshiphttp://www.independent.ie/sport/golf/ru ... 22451.html
