Une exploration sensorielle appliquée à la performance au golf
Et si le simple fait de fermer un œil modifiait notre manière de percevoir, de viser, et in fine, d’agir ? C’est l’hypothèse que j’ai choisi de tester sur le terrain, à la première personne, en appliquant une approche inspirée des travaux sur la perception incarnée, la motricité et la conscience. Ce que je vous présente ici est à la fois le récit d’une exploration personnelle et les premiers éléments d’un travail pédagogique plus vaste, qui interroge la place de l’intention perceptive dans l’acte moteur.
Une fléchette, une intuition
Pour une fois l’idée ne m’est pas venue au practice, mais… devant une cible de fléchettes !
J’aime essayer de viser le fameux triple 20, bien évidemment la plupart du temps sans succès parfois même en me réjouissant de voir ma fléchette rater l’objectif initial pour s’écraser par hasard dans le milieu de la cible.
Toujours en quête de nouvelles recettes miracles une fois j’ai tenté de fermer un œil, le gauche, pour changer de perspective.
Contre toute attente, le lancer suivant atteint précisément la zone visée.
Une sensation étrange m’a traversé : et si la manière dont je perçois le monde, littéralement, pouvait suffire à changer ma façon d’agir ?
Bien sûr vous vous doutez bien que j’ai continué à rater le triple 20 avec ma nouvelle technique visuelle cependant la sensation du lancer et la prise de feedback étaient différents; une intuition était née.
Et si j’incorporais cette distorsion sensorielle dans ma pratique du golf ?
Peut-être même que je pourrais explorer d’autres alternatives et qui sait, augmenter ma performance en compétition ainsi que celle de mes élèves !
À première vu un jeu comme le golf, où chaque micro détail peut infléchir radicalement le vol de la balle, semble être un terrain idéal pour explorer ces hypothèses.
Et si transformer l’organisation sensorielle permettait d’ouvrir l’accès à des capacités motrices jusqu’alors inaccessibles ?
Sans plus attendre il était temps d’entreprendre une série d’expériences sur le terrain, que je partage ici, en dialogue avec des travaux théoriques issus des sciences cognitives, de la phénoménologie et de la pédagogie perceptive.
Un point de départ sensoriel et stratégique
Premier jour d’entraînement, je ferme l’œil gauche (côté cible). Immédiatement, je ressens une différence : l’espace paraît plus structuré, la direction plus nette, le lien entre la balle et la cible plus tangible. Cette impression inhabituelle m’intrigue.
Peut-on modifier l’action en modifiant simplement la perception ?
Est-il possible qu’une reconfiguration sensorielle transforme notre manière de viser, de s’engager, d’agir ?
Pour tenter d’y répondre, j’ai commencé à structurer une expérimentation personnelle, puis pédagogique, en confrontant mes observations aux cadres théoriques disponibles.
Perception et action : une unité dynamique
La première idée forte qui structure ce travail vient de Francisco Varela et du courant de l’énaction. Selon lui, la perception n’est pas une étape préalable à l’action : elle émerge de notre engagement actif avec le monde. Nous percevons en agissant, et nous agissons parce que nous percevons.
Cette idée rejoint la théorie des affordances développée par James Gibson. Il soutient que nous percevons directement les possibilités d’action offertes par notre environnement : attraper, éviter, frapper, selon nos capacités motrices et notre expérience. Mais Gibson n’approfondit pas toujours la manière dont ces affordances deviennent effectivement perceptibles. Ce sont ses continuateurs — Eleanor Gibson, Michael Turvey, Edward Reed — qui insistent sur un point essentiel : une affordance peut exister sans être perçue.
Ainsi, deux niveaux doivent être distingués :
Affordance potentielle : une possibilité d’action objectivement présente dans l’environnement (ex. : la balle est bien positionnée pour être frappée proprement).
Affordance perçue : une possibilité subjectivement captée, rendue visible par l’organisation perceptive du joueur.
Entre ces deux niveaux se trouve le cœur de tout processus d’apprentissage moteur : faire émerger une opportunité invisible, en modifiant le regard, l’écoute, les sensations.
Une hypothèse simple : la perception guide l’intention
L’hypothèse de mon travail peut se formuler ainsi : modifier la perception, c’est modifier l’intention. Et cette intention, une fois clarifiée, modifie à son tour l’action.
Cela rejoint les travaux d’Antonio Damasio, notamment dans L’Erreur de Descartes, où il montre que nos intentions motrices sont enracinées dans nos états corporels profonds. Notre manière d’agir n’est jamais abstraite : elle découle d’une configuration sensorielle et émotionnelle précise.
D’un point de vue plus phénoménologique, Claire Petitmengin met en évidence, dans ses travaux sur la micro-phénoménologie, l’existence de micro-variations perceptives qui précèdent l’action consciente. Décrire ces sensations fines, ces “pré-intentions” corporelles, permet de mieux comprendre l’organisation du geste.
Enfin, les réflexions d’Alain Berthoz sur la “simulation” et l’“anticipation” des actions montrent que perception et mouvement sont couplés en permanence dans un dialogue adaptatif.
En d’autres termes : ce que je ressens modifie ce que je projette faire, et ce que je projette faire rétroagit sur ce que je ressens.
Protocole : fermer un œil pour sentir autrement
Depuis plusieurs jours , j’ai mené une expérimentation personnelle. Objectif : observer ce que change la fermeture de l’œil gauche dans ma manière de jouer au golf.
J’ai testé plusieurs variantes :
- fermeture permanente pendant l’élan,
- fermeture uniquement à l’adresse,
- ouverture progressive en cours de geste.
Les paramètres observés étaient :
- la qualité du contact,
- la sensation de lien avec la cible,
- la clarté de l’intention avant le geste,
- le calme intérieur au moment de l’exécution.
Les résultats ? Pas de recette miracle, mais des effets perceptifs nets, souvent déstabilisants, parfois féconds. J’ai noté, par exemple, une meilleure focalisation attentionnelle et un ancrage plus clair de la direction à suivre, même si cela pouvait nuire au relâchement global.
J’ai ensuite proposé l’exercice à trois élèves ce matin à 8h30, les premiers cobayes !
Chacun a ressenti une modification immédiate de sa perception. Pour certains, un surcroît de tension. Pour d’autres, une sensation de contrôle accru. Dans tous les cas : un déplacement du point de vue. Et donc un nouveau terrain de jeu intérieur.
Une pédagogie de l’intention incarnée
Ce travail m’a conduit à affiner mon approche pédagogique. Plutôt que d’enseigner ce qu’il faut faire, je cherche à accompagner ce qu’il faut percevoir pour mieux faire. C’est une inversion méthodologique puissante.
C’est dans l’écart entre l’affordance potentielle et l’affordance perçue que se situe le cœur du travail pédagogique. C’est là que peut naître une transformation durable de l’action.
Ancrages théoriques : ce que disent les auteurs
Voici un développement plus explicite des auteurs mobilisés :
James Gibson : sa théorie des affordances postule que la perception est fonctionnelle, tournée vers l’action. Elle n’est pas une construction mentale secondaire, mais une lecture directe du monde à travers le prisme des capacités du sujet.
Francisco Varela : il insiste sur l’enracinement corporel de la cognition. La perception est co-construite par le corps et l’environnement. Le monde ne “préexiste” pas à notre perception ; il se déploie à travers notre engagement actif.
Antonio Damasio : il démontre que les intentions conscientes sont enracinées dans des états somatiques. Notre “moi” qui agit est toujours un “moi” qui sent.
Claire Petitmengin : elle développe une méthode pour décrire finement les états perceptifs internes, souvent inaccessibles sans un travail d’introspection guidée. Cette approche est particulièrement féconde pour comprendre la gestuelle experte.
Alain Berthoz : il explore les couplages perception-action sous l’angle de la simulation mentale. Agir, c’est toujours aussi anticiper les effets de l’action à travers une perception projetée.
Thomas Metzinger : dans une perspective plus conceptuelle, il montre que notre conscience agit comme un simulateur. Nous ne contrôlons pas vraiment nos actions, mais nous faisons l’expérience d’un sentiment de contrôle généré par une interface interne.
Tous ces auteurs convergent sur un point : l’action juste ne peut émerger sans une perception juste.
Et maintenant ?
Je poursuis cette exploration sur plusieurs fronts :
Sur le terrain, avec d’autres élèves et en compétition.
Dans l’écriture, en structurant un protocole reproductible et rigoureux.
Dans la pédagogie, en construisant des outils concrets pour guider la transformation perceptive.
L’objectif n’est pas d’imposer une technique miracle, mais de valider une intuition : changer la perception change l’action.
Ce qui est vrai dans les sports de visée (fléchettes, bowling, tir à l’arc) l’est peut-être aussi — et plus subtilement encore — dans un sport d’intention comme le golf.
Vers un modèle sensorimoteur de la performance
À terme, je souhaite modéliser cette approche autour de quatre axes complémentaires :
- Modification de la perception incarnée : fermeture d’un œil, changement de référentiel visuel, variation attentionnelle.
- État de disponibilité à l’action : fluidité, calme, focalisation, sentiment de lien avec l’objectif.
- Cartographie perceptive de l’expert : quels invariants perceptifs précèdent l’action juste ? Où est située l’attention ? Quelles sensations internes sont mobilisées ?
- Transmission pédagogique : quels outils permettent de guider ces transformations perceptives ? Comment créer un espace d’exploration sécurisant, précis, fertile ?
Ce modèle s’inscrit à la croisée des neurosciences, de la phénoménologie, de l’écologie de l’action et de la pédagogie expérientielle. Il peut s’appliquer bien au-delà du golf.
Conclusion
Ce travail est encore jeune. Il repose sur l’observation, l’expérience directe, la confrontation au réel. Il ne vise pas la généralisation prématurée, mais l’émergence d’un questionnement :
Et si mieux percevoir, c’était déjà mieux agir ?

JULIEN SIMON
Professionnel de golf
Je donne des cours de golf à Paris, Versailles et la région Île-de-France depuis 2016 aux golfeurs de tous niveaux. Mon approche peut vous aider, que vous soyez débutant avec pour objectif de frapper vos premières balles dans les meilleures conditions ou bien 2 d’index avec pour ambition d’améliorer vos scores en Grand Prix.